La Cour du Travail tranche en faveur des coursiers Deliveroo : Reconnaissance du statut de travailleurs salariés plutôt qu'indépendants

19/01/2024

La Cour du travail de Bruxelles requalifie les coursiers Deliveroo en travailleurs salariés réformant ainsi le jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 8 décembre 2021. 

 

Par un arrêt très pédagogique rendu le 21 décembre 2023 (disponible sur le site de la Cour), la Cour rappelle d’abord le régime de l’économie collaborative (qui est essentiellement un régime fiscal) et les interactions de ce régime avec la loi sur les relations de travail : « 

lorsque le travail de plateforme est effectué par le biais d'une plateforme numérique agréée, il faut analyser en premier lieu si toutes les conditions sont remplies pour pouvoir appliquer le régime de faveur fiscal. Si tel n’est pas le cas et qu'il s'agit d'une activité professionnelle, il faut qualifier la relation de travail sur la base de la loi-programme (I) du 27.12.2006 précitée qui est et reste le seul outil légal de qualification ».

La Cour estime que les conditions d’application du régime de l’économie collaborative ne sont pas réunies pour DELIVEROO dès lors que les services rendus via la plateforme (la livraison de repas préparés par un restaurant ou de courses provenant d’un commerce): 

  • sont exclus des services appelés à bénéficier du régime de l’économie collaborative ;
  • ne sont pas rendus en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle ;
  • ne sont pas uniquement rendus à des personnes physiques qui n’agissent pas dans le cadre de leur activité professionnelle, puisqu’ils peuvent l’être à des personnes morales ; 
  • et ne sont pas uniquement rendu dans le cadre de conventions conclues par l’intermédiaire d’une plateforme agréée, cette condition imposant l’existence d’une convention entre deux particuliers - le coursier et le consommateur - en dehors de tout cadre professionnel. 

 

C’est donc à l’aune des critères généraux et/ou spécifiques prévus par la loi-programme (I) du 27.12.2006 ou les critères spécifiques prévus par arrêté royal qu’il faut apprécier la nature de la relation de travail entre DELIVEROO et ses coursiers.

 

Après avoir rejeté la contestation de DELIVEROO qui soutient qu’elle n’exerce pas une activité de transport mais une activité d’intermédiation se limitant à mettre en relation des offres et des demandes, la Cour examine la relation de travail entre DELIVEROO et ses coursiers au regard des 8 critères applicables au secteur du transport (arrêté royal du 29.10.2013). Si plus de la moitié des critères sont remplis, la relation de travail est présumée, jusqu'à preuve du contraire, être exécutée dans les liens d'un contrat de travail. La Cour constate que plus de la majorité des critères sont remplis :

  • le coursier ne prend aucun risque financier, 
  • le coursier ne dispose pas de responsabilité ni de pouvoir de décision concernant les moyens financiers de DELIVEROO et il n’est pas titulaire d’un certificat (ou attestation) de capacité professionnelle, 
  • le coursier n’a pas de pouvoir de décision concernant la politique d’achat, 
  • le coursier n’a pas de pouvoir de décision concernant les prestations à prendre en compte pour l’établissement du prix, 
  • le coursier n’a pas d’obligation de résultat à l’égard de DELIVEROO, 
  • le coursier n’a pas la possibilité d'engager du personnel, 
  • le coursier n’apparaît pas comme une entreprise vis-à-vis d’autres personnes,
  • le coursier ne travaille pas « dans les locaux » de DELIVEROO, mais utilise un vélo (soit un véhicule non motorisé) qui n’appartient pas à DELIVEROO,

La relation de travail est donc présumée, jusqu’à preuve du contraire, être exécutée dans les liens d’un contrat de travail.

 

Les tentatives de Deliveroo pour renverser la présomption n’ont pas convaincu la Cour qui souligne que les modalités d’organisation du travail contraignent assurément le coursier à fournir une prestation largement « standardisée » (notamment le fait d’avoir conclu un contrat de collaboration indépendante ; l’absence d’obligation du coursier de se connecter à l’application, la possibilité pour le coursier de choisir son itinéraire et ses équipements, la limitation à des instructions techniques et opérationnelles, etc.). 

Cette décision a des conséquences importantes en matière de droit du travail (régularisation des éventuels arriérés de rémunération, avantages sectoriels, pécules de vacances, etc.) mais aussi de sécurité sociale. Les coursiers requalifiés devront en effet se voir appliquer le régime de la sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés en lieu et place du régime applicable aux travailleurs indépendants ce qui signifie entre autres que DELIVEROO sera redevable d’arriérés de cotisations de sécurité sociale. Les conséquences concrètes de la requalification n’ont pas encore été examinées par la Cour qui a ordonné une réouverture des débats et invité les parties à présenter leurs conclusions sur ces points. 

 

Selon la presse, DELIVEROO a toutefois l’intention d’introduire un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour, ce qui mettra certainement la suite des débats en suspens. Affaire à suivre…